"Au dessus de Moscou il y a le Kremlin, au dessus du Kremlin il n'y a que le ciel" dit le proverbe russe
"J’aurais aimé vivre et mourir à Paris, s'il n’eût pas existé cette terre, Moscou !" disait Maïakovski.
Le Kremlin, c’est avant tout une forteresse, imprenable, ville dans la ville, condensé de trésors fabuleux, plus grands que ceux du Vatican, symbole de la puissance des tsars et de leur Empire, fruit de l’oppression et du despotisme, et surtout un ensemble architectural unique d’une beauté à couper le souffle que j'ai découvert avec ma femme russe !
C’est au Kremlin, sous la cohorte des clochers aux bulbes d’or, que battait le cœur de la Sainte Russie. C'est toujours le cœur de Moscou et le centre politique de la Russie d'aujourd'hui.
L’approche du Kremlin par la rivière Moskova est évidemment sublime, puisque Moscou, comme toutes les villes anciennes de Russie doit son emplacement à une rivière, la Moskova. En russe la ville et la rivière portent le même nom !
Moscou, 12 millions d’âmes, une ville cosmopolite, où se côtoient en permanence une centaine de nationalités différentes, une ville charnière entre l’orient et l’occident mais une ville vraiment Risse, c’est à dire déconcertante et aide, rebutante parfois, difficile à cerner au delà de la Place Rouge, mais qu'il faut découvrir à pied, en flânant avec la lenteur d'un Moscovite.
Alors au détour d’une cour ou d’un jardin perdu, la ville va vous prendre et ne vous lâchera plus !
La Russie actuelle est née à Kiev, qui se veut toujours la “Mère de toutes les villes msses”. L’héritage kievien dont nous reparlerons, donnera à la Russie une langue, une religion, une architecture propre et une civilisation homogène.
Pourtant la formidable puissance de l’état kievien va mourir de sa démesure et des infimes trahisons de la vie quotidienne.
Les fils de Iaroslav se partagent le royaume qui éclate en une multitude de principautés indépendantes éparpillées le long des fleuves et des rivières.
C'est la période de la Russie des Apanages qui finira avec l'invasion des Mongols.
C’est au nord-est que l’état russe né à Kiev, va se consolider et ouvrir une voie vers l'avenir. Iouri Dolgorouki, fils cadet de Monomaque, prince de Kiev, installe sa première capitale à Rostov-le-Grand, au bord du lac Néro.
En 1147, il fait construire un fortin sur les hauteurs de la rivière Moskova. C'est la naissance de Moscou.
Les princes vont se succéder et Moscou va grandir. En 1263 le fils cadet d’Alexandre Nevski reçoit Moscou en héritage et crée la Principauté de Moscou.
En 1380, le prince Dimitri Donskoï remporte la première victoire sur la horde mongole, et la Moscovie avec la naissance d'un véritable sentiment national, devient politiquement beaucoup plus puissante.
Les princes de Moscovie continuent de payer tribut aux mongols, mais se coupent aussi de l’occident, après le concile de Florence en 1448 qui assure leur indépendance religieuse vis-à-vis de Byzance.
En 1472 Ivan III le Grand épouse Sophie Paléologue et, après la chute de Constantinople en 1453 devient l’unique empereur orthodoxe. Moscou, héritière directe de Byzance se veut désormais “la troisième Rome”.
Les princes de Moscou, s’appuyant sur l eglise orthodoxe, commencent alors à rassembler sous leur coupe, et sans ménagement, les diverses principautés de Russie.
L'unification de la Russie se poursuit donc, et le pays commence à s’entrouvrir timidement sur l’Europe. Les architectes italiens bâtissent les églises du Kremlin, les marchands allemands arrivent en nombre, et le Prince de Moscou épouse une princesse lithuanienne.
C'est sous le règne d’Ivan IV le Terrible, que l'unification de la Russie va s’achever dans une extrême violence, dans la souffrance et dans la sang.
Le tsar organise l'administration, crée la première armée permanente et par ses victoires sur les Tatares, ouvre les portes de la Sibérie.
A la mort d'Ivan IV, la Russie entre dans la “période des troubles”. Fedor fils d’Ivan est un simple d’esprit et son beau frère, Boris Godounov, assure la régence. Dimitri, fils de la dernière femme d’Ivan IV meurt en 1591, et à la mort de Fedor en 1598. Boris Godounov se fait élire tsar, mais entre temps les Polonais font surgir “un vrai-faux Dimitri"...
lit confusion est à son comble quand le boucher Minime et le prince Pojarski, avec une armée populaire, chassent les imposteurs.
Sur la place rouge, devant la cathédrale de Basile-le-Bienheureux se trouve encore un monument sculpté en 1818, qui commémore l’événement. Sur le socle il est inscrit : “Au citoyen Minime et au prince Pojarski, la Russie reconnaissante”.
Le premier objectif des vainqueurs sera d'élire un tsar, et de doter enfin la Russie d’un gouvernement stable. En 1613, un zemski sobor, un conseil choisi de plus de sept cents membres, est convoqué pour cette élection, parmi la douzaine de candidats, l'assemblée va choisir Michel Romanov.
Ainsi commençait la dynastie des Romanov qui régnera plus de trois siècles sur la Russie, jusqu’en 1917. Le tsar, qui n’avait que seize ans. demanda au conseil de rester à Moscou pour l’aider à gouverner, ce qu'il fera pendant dix ans !
C'est à cette époque que vont apparaître dans les rues de Moscou les premiers réverbères qui éclairaient à l'huile...
Les tsars se succèdent. Pierre Le Grand, qui accède au pouvoir suprême en 1689, prend Moscou en horreur, et décide de construire une nouvelle capitale au nord : Saint-Pétersbourg. Le peuple de Moscou a le sentiment d'être abandonné.
Les successeurs de Pierre-Le-Grand et de la Grande Catherine sont trop loin de Moscou qu’ils perçoivent seulement comme une ville de marchands et de banquiers.
Pourtant des idées nouvelles agitent de nombreux mouvements contestataires autour du Kremlin.
Après la révolte des Décembristes en 1825, de nombreux aristocrates sont venus s’installer à Moscou, découvrant une intelligentsia qui affiche ouvertement sa sympathie pour les mouvements progressistes et révolutionnaires !
De Rousseau à Bakounine, les idées aboutiront à Karl Marx, comme en témoignent les ouvertures de nombreux cercles marxistes dès 1891...
Avec Lénine, les idées révolutionnaires se concrétisent. Le 1" mai devient la fête du travail, et les mouvements de contestations s’organisent, mais sont souvent réprimés avec violence.
L'agitation va gagner Saint-Pétersbourg et mènera à l'explosion révolutionnaire de 1905. C’est donc bien à Moscou que la contestation va naître, pour finalement enflammer la Russie et le monde ! Après les événements d’octobre 1917, et la paix séparée signée avec l’Allemagne à Brest-Litovsk en mars 1918. le pouvoir s'installe à nouveau au Kremlin, et Moscou retrouve son rang de Capitale de la Russie, qui devient Soviétique. Moscou, entre les deux guerres, sera certainement le plus grand chantier de construction et de destruction du monde.
L'invasion des armées hitlériennes survient le 21 juin 19-t 1. C’est la dernière grande catastrophe de l’histoire de la Russie, qui détruira le pays, mais qui épargnera Moscou : l’armée allemande ne pourra pas approcher à moins de 30 kilomètres de la capitale.
L’histoire de Moscou a été souvent tragique. Aucune ville au monde n'a été autant de fois brûlée, pillée, ravagée et reconstruite, mais elle demeurera toujours la concrétisation du faste oriental des Empires de Constantin et d’Ivan-le-Grand, et de la puissance de la troisième Rome.
Aujourd'hui, l'héritage est toujours là : le nouveau périphérique est plus large qu’un fleuve sibérien et les gratte-ciel de verre et d’acier qui poussent comme les champignons de la taïga, sont plus hauts que la flèche de l’université Lomonosov.
Si Moscou ne livre pas facilement, il s’y trouve deux sites incontournables et imbriqués l’un dans l’autre. Si connus que même à la première approche on a le sentiment de les avoir déjà vus.
Et puis, d'un coup, c’est le choc : le visiteur est anéanti, abasourdi, pétrifié par les dimensions et la puissance de l’architecture, qui dépassent l’imaginaire : La place Rouge et le Kremlin furent construits pour forcer le respect et impressionner le visiteur, c'est diablement bien réussi ! On peut venir ici cent fois. c’est toujours la même émotion profonde qui vous pénètre.
Kremlin, en russe, signifie forteresse. Il y a donc un kremlin dans chaque ville ancienne de Ru- v Pourtant ce nom commun est devenu un r. m propre: parler du “Kremlin” c’est parler de ce!-; de Moscou.
C’est le cœur du pouvoir des tsars, du pouvoir de l’église orthodoxe, du pouvoir soviétique, du pouvoir tout court.
C’est ici que s’est écrite et que s’écrira encore l’histoire russe, grandiose, tragique et sanglante comme toujours, mais ici plus grandiose, plus tragique et plus sanglante qu’ailleurs. puisqu en Russie tout est à l’échelle du pays : démesuré !
Dominant la rivière Moskova, le Kremlin est une ville dans la ville, inscrite dans un triangle de remparts de 2 200 mètres de longueur, percés de cinq portes et flanqués de dix-neuf tours.
La tour-porte du Sauveur, ouverte sur la Place Rouge, est la plus célèbre. Elle doit son nom à une icône du Christ rapportée de la Ville de Smolensk et accrochée au dessus de la porte. Jusqu’en 191”. les tsars eux-mêmes, quand ils passaient sous l’icône, devaient se découvrir...
La tour de la Trinité est aussi bien connue des étrangers, puisque c'est par sa porte que les visiteurs venus du monde entier accèdent à l'intérieur.
Au cœur du kremlin s’étend la place des cathédrales. Ce ne sont pas des cathédrales comme on l’entend dans l’occident latin, mais des églises. Ici se mêlent intimement l'art russe et l'art italien des XV et XVI siècles. Les cathédrales de l’Annonciation et de la Dormition pour ne citer que les plus importantes, sont des merveilles d’architecture, comme les nombreux bâtiments civils tels le palais à Facettes ou le Palais des Terems.
Bien des voyageurs ont parlé du Kremlin, mais la description du Marquis Astolphe de Custine, au clair de lune est unique :
"La lune se levait brillante. Les flèches, les aiguilles, les remparts, les palais et toutes les masses singulières et imposantes du Kremlin recevaient par accident des traits de lumière resplendissants comme des franges d’or, tandis que le coips de la ville rentré dans l’ombre perdait peu à peu les luisants reflets du jour que je voyais glisser en s'affaiblissant de tuile peinte en tuile peinte, de coupole de cuivre en coupole, papillotant et se fondant par flots lumineux sur les chaînes dorées et sur les toits métalliques, qui sont le firmament de Moscou.’’
Custine 1839